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Comme son chef le lui avait suggéré, Océane se rendit aux Menaces internationales et composa l’avis de recherche avec la photo de Seth. Puis elle l’adressa personnellement à tous les chefs régionaux des provinces canadiennes et des États américains. Elle se mit ensuite à lire les communiqués récents sur les terroristes reliés de près ou de loin aux possibles activités de l’Antéchrist. Ce n’étaient que des filets d’information, mais il y en avait des tonnes. Elle perdit bientôt la notion du temps.
Avant de rentrer chez lui, Cédric, qui savait toujours tout ce qui se passait sur la base, vint voir ce qu’elle mijotait.
— Que fais-tu encore ici, à cette heure ? s’inquiéta-t-il.
— Je pourrais te poser la même question, fit-elle en bâillant.
— Je l’ai demandé le premier.
— J’ai fait émettre l’avis de recherche pour Seth. J’ai mis tous nos agents d’Amérique du Nord à ses trousses… bien que je doute qu’on arrive à le coincer. Tu te rappelles ce que Yannick nous a raconté à son sujet ?
— J’ai l’esprit ouvert et je veux bien croire qu’un homme cruel et ambitieux s’apprête à s’emparer de la planète, tel que l’ont annoncé les prophètes, mais je ne pense pas que ce soit à l’aide de pouvoirs magiques.
— Yannick n’est pas un illuminé, le défendit Océane, Il a vu de ses propres yeux ce qui s’est passé en Israël.
— Nos agents étaient épuisés par cette chasse à l’homme. Il est possible que leur imagination leur ait joué des tours.
— Habituellement, je suis aussi sceptique que toi, sauf que ce rapport a été écrit par un homme sain d’esprit qui travaille encore pour nous. Ces derniers événements sont tout aussi bizarres. Tu as vu la vitesse d’exécution de l’assassin d’Éros ? Comment l’expliques-tu ?
Cédric demeura silencieux, car il ne savait qu’en penser.
— Vincent a analysé ce bout de film pixel par pixel, l’informa Océane. Il n’arrive pas à comprendre comment c’est possible. Il m’a dit que tu l’avais aussi transmis à Lucas et à Korsakoff.
— Je veux juste en avoir le cœur net. Il est si facile de truquer un film de nos jours.
Cédric jeta un coup d’œil à l’écran.
— Tu t’intéresses à César Dassilva ?
— Je voulais savoir d’où il vient, répondit Océane. Son passé est irréprochable, mais il n’a fait aucun geste d’éclat pendant sa carrière politique en Italie. Il n’est pas extrémiste, juste un peu gauchiste : un candidat idéal pour la scène mondiale.
— Ce n’est peut-être pas le César dont il faut se méfier.
— J’en suis venue à la même conclusion en épluchant son dossier. Mais des César menaçants, il n’en pleut pas depuis l’effondrement de l’Empire romain.
— As-tu fait une recherche sur le nom lui-même ?
— C’est ce que je m’apprêtais à faire quand tu es arrivé.
— Es-tu encore ici parce que tu crains que Seth ait aussi piégé ton appartement ? se tracassa le chef.
— Ça m’a traversé l’esprit, mais je ne suis pas une froussarde. Surtout que le mystérieux O semble de notre côté. Tu peux être certain que je vais lire mon courrier avant d’entrer.
— Tu veux que je te fasse conduire ?
— Non. Il ne faut pas que je déroge à mes habitudes, au cas où l’inspecteur du Vatican aurait décidé de me faire suivre. Je vais retourner à la bibliothèque et faire comme si j’avais travaillé tard.
Cédric était inquiet, mais il savait bien qu’elle avait raison. En la quittant, il demanda à l’ordinateur de la base de garder un œil sur elle. Océane lut encore quelques pages, puis, lorsque les mots commencèrent à s’embrouiller, elle se dirigea vers l’ascenseur.
Après avoir verrouillé la porte de la bibliothèque, elle décida de rentrer à pied. Elle se sentit aussitôt suivie et aperçut une silhouette inquiétante se réfléchissant sur la vitre arrière d’une automobile garée en bordure du trottoir. L’agente ne paniqua en aucune façon. Elle fouilla plutôt son sac à main, tout en marchant. Elle en sortit une petite caméra grosse comme un confetti, et la colla à un lampadaire en faisant semblant d’ajuster sa chaussure.
Un technicien reçut aussitôt sa transmission. La silhouette de l’homme apparut sur son écran. Lorsque l’étranger passa sous la lumière, l’agent spécialisé reconnut ses traits : c’était Seth ! Il tapa fiévreusement sur son clavier.
— Code rouge, co quatre, quarante-quatre, annonça-t-il dans son petit micro.
Cédric dormait déjà dans le lit de son appartement de Westmount lorsque sa montre se mit à vibrer. Il se redressa et vit que ses chiffres clignotaient en rouge. Sans même allumer la lampe près de lui, il appuya sur une décoration de la tête de lit en bois. Sur le mur opposé, un tableau se souleva, découvrant un écran. Le logo de l’ANGE y apparut.
— co quatre, quarante-quatre à l’écoute, dit-il à voix haute. Que se passe-t-il ?
— Un capteur a été activé, monsieur.
— Laissez-moi voir ces images.
Cédric observa en silence les quelques images recueillies par la caméra jusqu’à ce que Seth dépasse le lampadaire.
— À qui appartient le capteur ? s’énerva le chef.
— À oc neuf, quarante.
— Repérez-la et dépêchez la force de frappe. J’attends votre rapport.
Cédric se laissa retomber sur ses oreillers en espérant qu’Océane ne joue pas au héros. Il savait bien que la jeune femme était difficile à intimider.
Pendant que son chef s’inquiétait pour elle, Océane continuait de marcher calmement. Seth la suivait à distance. Soudain, l’agente obliqua dans une ruelle, Elle était en terrain connu dans ce quartier. Elle courut de toutes ses forces, emprunta un passage entre deux maisons et ressortit une intersection plus loin, derrière celui qui la filait.
Elle retira de son sac à main un petit pistolet futuriste, conçu pour paralyser, et jeta prudemment un coup d’œil à la rue. Seth était sur le point de s’aventurer dans la ruelle où elle avait fui. Bien décidée à capturer le bras droit de l’Antéchrist, Océane prit une bonne inspiration et fit un pas pour sortir de sa cachette. On la saisit par-derrière.
Un bras solide la ramena dans l’obscurité. Entraînée à se dégager de ce genre de prise, Océane se défit brusquement de son assaillant et fit volte-face. Elle le reconnut aussitôt ; c’était O !
— Ne faites pas cela, le prévint le personnage fantôme. Il vous tuerait.
— Qui êtes-vous ?
Le jeune homme posa la main sur son épaule. Océane se sentit pénétrer dans le sol. Sans qu’elle comprenne comment, elle se retrouva devant son immeuble, en l’espace d’une seconde. Sa tête tournait comme après une virée dans les bars. O n’était plus nulle part.
Elle grimpa l’escalier en vitesse et s’enferma dans son trois et demi avant que Seth ne la repère. Elle ferma les rideaux, alluma la lumière dans son salon, sortit son casque d’écoute de son sac à main et le brancha dans sa montre.
— Code rouge, co quatre, quarante-quatre.
Cédric savait qu’elle l’appellerait. Il ne s’était pas rendormi. Il accepta la communication sur l’écran du mur. Une photographie d’Océane apparut à la place du logo de l’ANGE.
— Océane, où es-tu ? Nous avons complètement perdu ta trace !
— Je suis chez moi. Il s’est passé des choses vraiment étranges, cette nuit.
— J’ai vu Seth sur ton capteur. Est-ce qu’il t’a suivie ?
— Même s’il avait voulu me suivre, il n’aurait pas pu. Notre ami O est intervenu, encore une fois.
— De quelle façon ?
— Je n’en suis pas certaine. Une seconde, j’étais dans une ruelle, à dix minutes d’ici, et, la seconde suivante, j’étais devant chez moi. Je ne sais pas comment il a fait ça. Mais une chose est certaine, il ne travaille pas pour l’Alliance.
— Il fait peut-être partie d’une autre organisation, suggéra Cédric.
— Il pourrait aussi être un des deux Témoins dont parlent les prophètes.
— Ne nous emportons pas. Ce qui est important, en ce moment, c’est de te trouver un autre logement. L’assassin à la solde de l’Antéchrist sait où tu travailles. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il découvre où tu habites. Je veux que tu quittes ton appartement ce soir. Je vais t’envoyer un transport.
— Non, Cédric. Je vais filer en douce et prendre un taxi sur la rue Sherbrooke. L’arrivée d’une voiture dans mon quartier à cette heure-ci serait trop facilement remarquée.
— Sois prudente.
— Promis. À plus tard.
Océane mit fin à la communication. Cédric n’aimait pas que ses agents soient sans ressources sur le terrain, surtout elle. Pourtant, l’aventurière s’en tira fort bien. Elle mit le strict nécessaire dans un sac de voyage et quitta son appartement par la porte arrière. Comme un chat, elle s’orienta sans heurt dans le noir. Elle héla le premier taxi qu’elle aperçut dans la grande rue, puis fila sur la Rive-Sud, chez sa tante adorée.
Un peu endormie, Andromède Chevalier lui ouvrit la porte, malgré l’heure tardive.
— Océane ? lança-t-elle en la reconnaissant finalement. Ne me dis pas que tu m’apportes de mauvaises nouvelles ?
— Non, non, la rassura sa nièce. Tu es la seule personne que je peux déranger à une heure pareille.
Andromède la fit entrer et referma la porte. Elles marchèrent ensemble dans le long couloir égyptien.
— Quand je suis rentrée chez moi, ce soir, j’ai découvert que mon propriétaire avait fait fumiger l’appartement, mentit Océane. Pas question que je dorme là-dedans.
— Tu as bien fait de venir chez moi.
Sa tante la fit asseoir à la table de marbre de sa cuisine de la Grèce antique et lui servit une boisson d’une étrange couleur.
— Ça va te détendre, mon petit cœur, assura-t-elle.
Océane en avala une gorgée. Ce n’était pas si mal, juste un peu trop sucré.
— Tu fais de drôles d’heures pour une bibliothécaire, fit remarquer Andromède.
— De nos jours, on abuse des travailleurs. Il n’y a pas grand-chose que je puisse faire.
— Dans quelle chambre veux-tu dormir ? La chambre mésopotamienne ? La chambre shinto ? Ou dans la crypte du sous-sol ?
— Compte tenu de ma dernière expérience dans ton hypogée, je pense que je vais opter pour le Japon.
— Je vais te mettre de la musique douce et de l’encens.
Océane savait bien qu’il était inutile de rouspéter : Andromède n’en faisait toujours qu’à sa tête. Au moins, elle n’aurait pas à endurer les bruits de chaînes et les lamentations des fantômes, cette fois…